
Récemment, une polémique concernant un bar à rhum lyonnais a déchaîné la toile. L’un des gérants interviewé a, selon un article diffusé dans un journal local, fait l’apologie de la colonisation en déclarant entre autre:
« Je cherche à retranscrire l’esprit colonial, un esprit à la cool, une époque ou on savait recevoir »
Mais cela ne s’arrête pas la, la journaliste prétend même dans son article avoir trouvé une décoration douteuse et des photos évoquant la colonisation. Le nom de l’établissement en lui même laisse perplexe car si on laisse son esprit vagabonder, on imagine vite que les gérants ont pu vouloir rendre hommages aux colons et à leur « oeuvre ».
« Ça représente une période sympathique, il y avait du travail à cette époque accueillante »
Quelques rebondissements après, un droit de réponse a été accordé aux gérants ou ils réfutent toute apologie de la colonisation et duquel on peut extraire cette citation:
« Notre bar à cocktails est un hommage à la culture du rhum et à la culture caribéenne »
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Concrètement, en tant qu’afro-caribéen, que peut-on en penser?
Rien ne dit que ces barmans passionnés ont réellement eu l’intention de nuire, mais il faut avouer que les faits révèlent une méconnaissance de l’histoire des Antilles et du passé colonial de la France.
La tournure qu’a pris les choses donnera une bonne leçon (d’histoire) à ces individus. Cependant, selon moi, la façon de penser des gérants ce bar n’est que le reflet de la société française et du négationnisme décomplexé qui y règne: il faut les condamner pour leurs propos et leurs intentions douteuses, mais soyons honnêtes, on ne peut pas leur jeter la première pierre.
Ce négationnisme est implicite mais si on devait l’exprimer en une phrase explicite, de la bouche de nombreux français, cela donnerait: « Sans la colonisation, les plantations et l’esclavage, nous n’aurions probablement connu le rhum, donc soyons en fier ». C’est la tout le problème, et c’est d’autant plus délicat du point de vue d’un afro-antillais ayant grandi avec les vestiges de l’époque coloniale comme décor.
Cette polémique soulève plusieurs questions existentielles:
- Peut-on à la fois condamner la colonisation et en valoriser les vestiges et les produits qui en sont issus?
- « La culture caribéenne » à laquelle ils ont voulu rendre « hommage » ne se résume-t-elle qu’au rhum?
- En tant qu’afro-antillais, valoriser la culture du rhum est-il respectueux envers ses ancêtres qui ont payé de leur vie pour le commerce de cette boisson?
- Est-ce que tout le monde s’accorde réellement à dire que la colonisation n’a eu aucun effet positif?
- Le rhum n’est-il pas finalement une excellente arme d’asservissement mental?
Que personne ne s’offusque, ce ne sont que des questions existentielles, mais elles ont le mérite d’être posées.
Aux Antilles notamment, le rhum à la particularité de réunir descendants d’oppressés et d’oppresseurs et c’est la toute la complexité du travail de mémoire qui s’en retrouve un peu bâclé, aussi bien au niveau local qu’au niveau de la métropole où le principal stéréotype sur les Antillais est qu’ils sont des « buveurs de rhum », donc acceptant partiellement cet « esprit colonial ».
Dans les livres d’histoire de l’éducation nationale, on aura plutôt tendance à valoriser Christophe Colomb que Toussaint Louverture (je ne pense pas qu’on en parle, en fait). Les enfants sont élevés a coup de grands explorateurs et Robinson Crusoé, a qui en vouloir si certains en sont arrivés à qualifier l’esprit colonial de « cool ». Le mal est à la racine.
Fabrice
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