Y a-t-il trop de films sur l’esclavage? | Chronique


Dernièrement, sur les réseaux sociaux, j’ai vu une ancienne vidéo du rappeur Snoop Dogg qui se plaignait de voir trop de films sur l’esclavage. Ses propos paraissent légitimes car l’argument qu’il avançait était que l’omniprésence de ce genre de films allait au détriment de films reflétant la réussite des noirs d’aujourd’hui et parlant de leur pouvoir dans la société. Il n’a pas tord car les Etats-Unis sont déjà à un stade avancé en terme de conscientisation de la population noire sur leur passé, mais je ne pense pas qu’on peut en dire autant de la France.

Contexte afro-américain

Même si les Etats-Unis et les Antilles françaises ont en commun la déportation, leur histoire reste différente. On pourrait citer les raisons suivantes parmi tant d’autres:

  • Aux Etats-unis l’esclavagisme était pratiqué « sur place » alors qu’aux Antilles françaises il était pratiqué à 8000 km de la France, ce qui fait qu’il n’était pas vécu de près par la population de l’époque: le combat est différent car il faut non seulement lutter pour que les traites et la colonisation rentre dans l’inconscient collectif de tous et pour que l’Etat tienne compte des colonies qu’il a choisi de départementaliser en 1946.
  • Aux Etats-Unis, même s’il est vrai que la brutalité policière envers les noirs est largement plus élevée qu’en France, le peuple n’a jamais  cessé de se battre et il existe ce que l’on peut réellement appeler une « communauté noire » (je reviendrai sur le sujet dans un autre article) au sein de laquelle chacun a dans un coin de sa tête l’ambition d’élever sa communauté. Le fait d’être organisé en communauté vient du fait que ce groupe ethnique est conscient de son histoire et des longs et tenaces combats qui ont du être menés pour en arriver à la situation actuelle.
  • Aux Etats-Unis, le lobbying noir existe et permet de soutenir des lois en faveur des afro-américains, mais également de faire pression pour que l’histoire de ce peuple ne soit jamais occultée. Le sujet de l’esclavage n’est pas tabou depuis bien longtemps au pays de l’oncle Sam (il suffit de regarder la qualité des images de « Roots ») et les sociétés de production audiovisuelle n’ont pas eu autant de difficultés qu’elles auraient pu avoir en France à produire des films sur l’esclavage: elles ont le soutien de citoyens bien placés et fortunés (en majorité noirs) qui militent pour des intérêts communs.

Contexte « franco-antillais »

Comme je l’ai dit précédemment, la relation post-coloniale entre la France et les Antilles est particulière car tout s’opère à distance. En France énormément de communes rurales souffrent de la précarité et d’autres problèmes, mais étant situées loin des grandes agglomérations, tombent dans l’oubli et la population locale se sent abandonnée. Si sur le territoire français même cela est possible, imaginez le cas des Antilles et l’ignorance totale voir le mépris qu’il peut y avoir vis à vis des problèmes que nous rencontrons dans nos sociétés..

L’esclavage et l’histoire de la colonisation ne sont que très peu ancrés dans la mémoire collective française. Il est vrai que l’Etat en a fait un élément insignifiant de son passé « glorieux ». De l’école maternelle au lycée, il est enseigné aux « petites têtes blondes » les merveilleuses découvertes de Christophe Colomb, les histoires héroïques du grand Napoléon etc.; les esprits ayant été formatés (des deux cotés de l’Atlantique), il est inutile de chercher à débattre et se battre pour imposer sa vérité. C’est à nous d’éduquer nos enfants, blancs comme noirs, et balayer ces codes erronés que nous a transmit l’éducation nationale. L’esclavage n’est décrit que comme un concours de circonstances surtout que la faute est sombrement rejetée sur les chefs Africains de l’époque afin de partager les tords. On vous dira « avant c’était comme ça, entre temps l’Homme a bien évolué », mais voila: « avant », c’était il y a moins de deux siècles.

Dans l’inconscient collectif français, personne ne tient compte des dommages psychologiques qu’a pu occasionner l’esclavage sur la population antillaise, étant partie littéralement de rien et ayant du apprendre à se construire sur le tas malgré une domination économique n’ayant jamais cessé. 

Cachez-moi ces français que je ne saurai voir

« Mon dieu que vous êtes Français! » Charles de Gaulle

Au vu des conditions citées dans le paragraphe précédent, il est aisé de comprendre pourquoi en France, les films sur l’esclavage ne courent pas les rues et peuvent même se compter sur les doigts d’une main. Il y a eu une série inspirée de « Roots » sur France 3 à une époque, qui s’appelait « Tropiques Amers ». Elle à tout simplement été déprogrammée car  France 3 refusait de financer les saisons suivantes malgré l’engouement qu’il y avait autour de la série. Selon certains diffuseurs, les films de ce genre ne sont pas « a la mode » (Source: Le parisien). Si les grands maîtres de la télévision le décident qui pourra leur apporter une vision différente? « France O » qui ne diffusait Roots que depuis peu, risque bientôt d’être supprimée.

« Case départ » a été le premier long-métrage populaire sur le sujet ayant été réalisé en France, et il a fallu le traiter avec humour pour qu’il « passe ». La France sera-t-elle un jour prête à prendre l’histoire antillaise au sérieux? Tant qu’il n’y aura pas de respect et de considération vis à vis de ces événements, des tensions subsisteront toujours entre la « métropole » et ses départements d’outre-mer de manière cyclique. J’ai d’ailleurs été surpris que la plupart des français ignorait la situation de la Guyane avant sa récente exposition médiatique.

Pour conclure, je comprend qu’on puisse penser qu’il y a beaucoup de films sur l’esclavage aux Etats-unis dans la mesure ou toute une communauté milite depuis des décennies pour que l’histoire ne tombe jamais dans l’oubli. Les nombreuses œuvres cinématographiques comme « Roots » ou « 12 years a slave » sont des classiques ancrés dans les générations. Il y a peut être des sujets plus préoccupants à traiter dans l’immédiat comme la lutte contre la brutalité policière.

Par contre en France, tout est à faire: parler d’esclavage dans le cinéma est un devoir de mémoire, mais avant tout d’éducation de toute une population qui ignore la face sombre son passé et celui de ses concitoyens des îles. C’est d’ailleurs à cause de cette inculture qu’on en arrive à des scandales comme celui de « La première plantation ».

Fabrice

 


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