
Les antillais sommes généralement nostalgiques de la bonne époque au pays, de la musique qu’on écoutait dans notre enfance, des ambiances etc. Cette nostalgie s’étend notamment aux sens, aux odeurs, aux couleurs, aux goûts… Par exemple, quel antillais résident en France métropolitaine ou ailleurs n’a jamais cherché à se procurer des glaces, du soda ou autres produits dans le genre « du pays »? Aucun.
Ici, le but n’est pas de s’attarder à faire le procès de telle ou telle communauté : « business is business », etc. Ce qui peut fasciner ou agacer c’est toute la machinerie qui a été mise en place par les industriels pour créer puis répondre à la nostalgie du peuple afro-antillais.
Un peuple en pleine construction
Alors que le peuple martiniquais était en pleine construction au cours du siècle dernier, partant de rien, sans repères culturels, des industriels dont les ancêtres officiaient déjà pendant la période esclavagiste ont flairé « le bon filon ». Puisque tout est à (re)faire en Martinique, avec un peuple issu de la colonisation et n’ayant par conséquent plus de culture à proprement parler, pourquoi ne pas lui donner des repères forts et les insérer dans sa toute nouvelle culture? Et je ne dis pas que ce n’était pas parti d’une « bonne intention ».
Le peuple est à cette période en plein désastre identitaire à cause de son passé esclavagiste et colonial: ce dernier rêve de développement « à la française » et de nouveautés. Pourquoi donc ne pas lui créer de bon petits produits sucrés avec des noms auxquels il pourra éternellement s’identifier:des noms « bien de chez nous » rappelant a tout martiniquais sa tendre enfance et imprégnant tant de souvenirs…une véritable industrie conçue pour tourner éternellement, fidélisant toutes les générations.
Vous vous rappelez peut-être aussi des publicités pour une marque de soda fabriquée en Martinique qui permettaient d’ancrer ce produit dans l’inconscient, l’associant à des scènes de vie populaires, si bien qu’on en oublie la machine industrielle qu’il y a derrière et qu’on pense innocemment « sé ta nou ».
A une l’époque ou il nous était maladroitement enseigné « nos ancêtres sont les Arawaks », un nouveau soda pour les petits a vu le jour: la mascotte de la marque était un petit enfant arawak en lequel les petits martiniquais se reconnaissaient. Il y a des centaines d’exemples de ce genre et c’est aujourd’hui que je me rend compte que tous les moyens ont été mis en oeuvre pour que l’afro-antillais s’identifie à ces marques: SES marques, alors qu’il n’en est rien.
La « tradition » comme stratégie marketing
Il faut admettre que ces marques bénéficient d’une stratégie marketing très bien élaborée et que la diversité des produits a de quoi devenir facilement addictive pour le peuple, de part la diversité de couleurs et de saveurs proposées et leur omniprésence dans le paysage médiatique. Moi même honnêtement je suis le premier à reconnaître que ce n’est pas évident de se passer d’un produit ancré dans nos parcours de vie, qui nous rappelle notre enfance et qui s’intégrera encore à la vie de nos enfants, petits enfants voir même arrières petits enfants pour certains.
Se servir de la diaspora comme panneau publicitaire est sans doute la meilleure stratégie adoptée par ces marques, et le pari est réussi car cela marche vraiment.
Un manque de réactivité?
Lors de la grève de 2009 en Martinique, un homme était critiqué par tout le peuple pour ses propos racistes dans un reportage de Canal+ intitulé « les derniers maîtres de la Martinique ». Il y vantait la préservation de la « race béké » et son dégoût pour le métissage: le peuple s’en est offusqué, cela a fait grand bruit sur les réseaux sociaux mais économiquement rien n’a été fait pour faire ressentir ce mécontentement. Pourtant, Ce monsieur règne d’une main de fer sur l’industrie dite locale: tout ça peut-être a cause d’un manque de curiosité de savoir « qui produit quoi ». Certains afro-antillais en arrivaient même à le défendre bec et ongles, mais bon l’objectif n’est pas de critiquer un tel ou un tel…
Si les martiniquais savaient que cet homme était à la tête de l’usine qui élabore et distribue la plupart de leurs produits préférés -et dont nous sommes tous ambassadeurs-, peut-être que la glace ou le soda auraient pris un gout amer.
Remarquez qu’aucun jugement n’est fait ici, car la condition du martiniquais de l’époque ne laissait presque aucune place au discernement. De plus, soyons réaliste, à peine un siècle après l’abolition de l’esclavage, à partir de quelle fortune un afro-descendant aurait -il pu bâtir de tels empires industriels? Après toutes ces péripéties, difficile de comprendre pourquoi les mouvements pour la réparation soient aussi ridiculisés, mais c’est une autre histoire. Notre époque est propice à une vraie émancipation et la libre diffusion de l’information nous permet par exemple aujourd’hui de partager nos avis et impressions et de les propager au plus grand nombre.
Fabrice
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