
La question qu’on se pose ici c’est: étant donné que la musique urbaine martiniquaise résulte d’une influence extérieure, reflète elle vraiment la société ou est-ce juste un copier-coller de ce qui se fait ailleurs?
De l’influence sélective…
Vers la fin des années 80, période à laquelle sont arrivées les musiques dites « urbaines » aux Antilles, plus précisément dancehall et hiphop, on peut dire que l’influence était sélective. En effet dans les pays d’origines, ces musiques étaient déjà à un stade avancé en terme de contenu explicite.
Aux USA, le rap est né des ghetto et dépeignait déjà une réalité mêlant vente de drogues dures et crimes en tout genre (meurtres, appartenances à des gangs etc.)
En Jamaïque, à cette même époque, les débuts du dancehall tel qu’on le connait rayonnait jusqu’à la Martinique. Parmi les artistes du moment, on retrouvait les classiques Beenie Man, Mad Cobra, et tant d’autres. Les thèmes n’étaient pas si différents que ceux abordés dans le hiphop, seul le décor et le rythme faisait la différence. Les thèmes abordés étaient principalement la drogue, la dure vie du ghetto, les femmes faciles et surtout les armes à feu (mon époque dancehall m’a fait connaître les noms d’armes à feu bien longtemps avant GTA).
Jusque là, on peut dire que ces musiques étaient un moyen d’expression du ghetto, ce qui leur apportait une légitimité dans la mesure ou elles donnaient la parole à une population a qui la société ne la donnait pas. En Martinique, à ce même moment, l’influence américano-jamaïcaine se faisait déjà ressentir que ce soit à travers les styles vestimentaires et la musique. Le dancehall a fait son entrée sur notre île via les sound-systems, mais de manière « soft » et plutôt festive, véhiculant des valeurs positives, et tentant de rassembler les générations en dénonçant divers dysfonctionnements de la société: la violence n’était pas un sujet phare.
… à l’appropriation des codes
Au fil du temps, les choses ont commencé à changer et la société martiniquaise à évolué. La précarisation a fait que de plus en plus de jeunes se sont retrouvé dans une situation plus tendue et ont commencé à refléter une nouvelle réalité dans la musique: celle des quartiers dits « chauds » et de leur quotidien, mêlant leur type de fréquentation et ce qu’ils ont (ou pas) fait pour « s’en sortir ». Les modes de vies aussi ont évolués et on n’hésite plus en général à s’exprimer sur tel ou tel sujet: il n’y a plus de tabous sur certains sujets qui étaient moins abordés avant (sexualité etc.)
Le hiphop évolue et laisse place à d’autres mouvements comme le crunk puis aujourd’hui la trap music. On peut désormais plus facilement diviser le mouvement en deux: rap hardcore et rap conscient. Du coté du dancehall, on retrouve à peu près la même évolution, et ce mouvement est divisé, entre les pro et anti-slackness (mœurs légères, lyrics crus etc.)
Je me rapelle que même dans les années 2000, la barrière de la langue fait que le dancehall jamaïcain avait un succès fou en Martinique malgré le contenu explicite des morceaux (un artiste pouvait se contenter de faire rimer p*ssy, batty, punnany dans tout un morceau pour qu’il marche en Martinique). Du coté du rap US: même chose, il ne suffit que de traduire « Candy Shop » de 50 cent pour comprendre. Je ne sais pas si on peut appeler ça une hypocrisie dans la mesure ou ce qui plaisait dans ces musiques étaient plutôt les instrus et la musicalité, mais en tout cas la supercherie a commencé a être dénoncée par de nombreux artistes locaux insatisfaits que leur musique au contenu « explicite » ne soit pas acceptée au même titre que celle des pays d’origine de ces mêmes musiques. C’est le cas par exemple de X-man dans « Pa fè yo sa X ».
La fin programmée du reggae et du rap conscient?
Les différents coups de gueules des artistes faisant du « slackness » et revendiquant leur liberté d’expression ont finit par être entendus, d’autant plus que le peuple se retrouvait beaucoup plus dans ce genre de sons que dans la musique moralisatrice: il raffole d’authenticité et d’artistes qui viennent « tels qu’ils sont ».
Le reggae n’a pas beaucoup été abordé ici car c’est une musique intemporelle qui, à mon avis, restera positive quoi qu’il advienne, je ne pense pas qu’un jour une branche du reggae au contenu explicite verra le jour. Cependant, on ne peut pas le nier, aux Antilles en tout cas, cette musique n’a plus le même succès que dans les années 2000 ou nous étions dans un équilibre dancehall/reggae presque parfait.
En ce qui concerne le rap conscient, il plaît de moins en moins pour les mêmes raisons, et parce qu’il n’apporte aucune nouveauté à une époque ou le peuple est friand de nouvelle tendance et d’innovation. C’est peut-être triste à dire, mais les premiers sons conscient sont devenus des classiques car le message est intemporel, mais rabâcher le même message des centaines de fois est tellement rébarbatif que l’artiste devient vite hasbeen et ennuyeux pour le peuple. La musique est passé progressivement d’un moyen d’évasion et de culture à un moyen comme un autre de se divertir, mais ce changement n’est pas du tout propre aux Antilles: il est mondial.
Le rap conscient ne disparaîtra pas mais il n’égalera jamais les « classiques » ayant déjà eu du succès par le passé. La réalité est que le peuple agit désormais en connaissance de cause, il n’a pas besoin qu’on lui dise ce qui est bien ou mal car il le sais déjà, surtout que le slackness est un « fond de commerce » du conscient, l’un ne va pratiquement pas sans l’autre.
Le crime de plus en plus toléré
La conjoncture économique de l’île, l’éternel chômage et bien d’autres facteurs font qu’actuellement de plus en plus de personnes, adultes comme jeunes, sont de plus en plus tolérants en ce qui concerne les moyens alternatifs de se faire de l’argent, la plupart du temps illégaux. Beaucoup mettent de coté valeurs et principes acquises dans leur éducation, laissant place au « tout’ lajan sé lajan » et face à l’argent personne ne sait vraiment à quel point il peut être corruptible: par exemple, cela peut paraître choquant pour certaines personnes mais une mère peut avoir tendance à tolérer facilement que son fils deale à partir du moment ou quelques fins de mois ont été arrondies ou que quelques loyers ont été payés grâce à ce revenu.
Les mœurs ont évoluées et la mentalité actuelle est le terreau idéal pour que la musique trap ait le succès qu’elle a aujourd’hui car tout le monde l’écoute et s’y reconnait. Il est ignorant de croire que le public de cette musique se résume à quelques délinquants sans cervelle ayant besoin de motivation pour commettre leurs crimes.
Non, ce n’est pas la fin des temps
Comme je l’ai dit un peu plus haut, le hardcore et le conscient ne vont pas l’un sans l’autre car il faut qu’il y ait du mal pour pouvoir prêcher le bien, un peu comme le yin et le yang. C’est la réalité, le monde évolue selon des cycles et les simples êtres humains que nous sommes ne peuvent que rarement prendre conscience des impacts d’une erreur sans l’avoir commise.
On vit tout simplement une époque ou la violence est omniprésente, et transpire jusque dans la musique. Même si la musique urbaine antillaise résulte d’une influence extérieure, je ne pense pas qu’on puisse prétendre que la violence ou les maux de la société aient été importés avec, donc on peut se permettre de se dire que la musique urbaine martiniquaise reflète la société sans exagération.
Fabrice
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